Boutabba … (extrait)


Sept heures du matin, lundi, mon réveille-matin : ma mère. C’est elle qui adore l’école, mais c’est moi qui dois y aller et me taper les heures interminables du lundi sur les bancs écoutant la platitude du prof d’arabe. Heureusement qu’il y a Samira. Elle, au moins, elle me fait oublier le vieux schnoque. Je l’aimais bien ce prof au début, jusqu’au jour où il a commencé à nous prendre pour des cons et à branler du chef pour se moquer de nous. C’est pas pour rien que les copains de classe veulent s’en occuper au plus vite. Laissez-moi vous dire que c’est des gens de parole. Moi, si j’étais un prof, je ne ferais pas ça à mes élèves, c’est-à-dire branler du chef et les prendre pour des cons. C’est le genre de truc qui me saoulerait.

 

Ça m’aura même pas pris cinq minutes de lamentations sur le sort de ma journée en insultant celui qui a créé l’école et celui qui a créé le lundi dans mon lit pour que ma mère me traque afin que je me dépêche. Ma mère, même si je me lève 50 milles heures avant huit heures, c’est toujours : « fais vite, il ne reste plus assez de temps ! ». Inutile de vous dire que je déteste ça quand on vous dit de vous dépêcher alors que vous avez amplement le temps de faire ce que vous avez à faire ! En plus, mon frère T., lui, ma mère ne lui dit jamais de se dépêcher, il a 50 milles de moyenne sur vingt. Dans cette saloperie de quartier, si vous avez 50 milles de moyenne ou que vous êtes  l’aîné, et surtout les deux en même temps comme mon frère T., personne ne viendra vous faire chier et tout. C’est vraiment à gerber !

 

En sortant de la maison pour aller à l’école, j’ai la paix. Il y a tout au plus 50 mètres dans mes putains de 24 heures, à 7h30 du matin où je peux avoir la paix totale, enfin la paix comme je la veux. Non seulement, il n’y a personne pour me dire de me dépêcher ou quoi, mais aussi et surtout que ce connard de Kamel n’est pas encore pointé comme une sentinelle au coin de la rue, où il doit marquer son territoire. Vous vous demandez certainement pourquoi je m’acharne sur lui. Je vous cache rien, personnellement, il m’a rien fait de mal, mais c’est un crétin de première. Il y a des gens avec qui c’est comme ça, ça passe pas. Au moins, il y a Am El Arbi dans mes 50 mètres de paix. Am El Arbi, c’est l’épicier du coin, lui, je l’aime bien. C’est un vieux monsieur, quand je lui dis bonjour, il me sort, chaque jour, la même et la plus belle des phrases du monde pour me souhaiter une excellente journée, du succès et une bonne compagnie. Sinon, je sens que quelque chose me manque, vraiment ! Am El Arbi est un vieil homme de 78 ans, pieux, respectueux et que tout le monde adore. J’étais là le jour où son fournisseur de sacs de farine a voulu l’arnaquer et lui vendre 10 sacs de 20 kg pour le prix de 12, le salopard. Am El Arbi est un homme de confiance et croit que tout le monde l’est aussi, donc, il ne compte pas vraiment son argent ni rien. Heureusement que j’étais là pour le lui signaler. J’ai même dit à ce con de fournisseur : nikomm’ha, si tu descends pas, presto, les deux autres sacs du camion, jamais tu ne sortiras du quartier. » 

 

En fait, j’ai une précision à rajouter à propos de l’incident avec l’arnaqueur de Am El Arbi parce que je veux pas vous mentir ni rien, même si je peux le faire très facilement quand je veux. Parfois je dis à mes parents que j’ai bossé comme un fou et que j’ai eu d’excellentes notes en maths alors que j’ai passé ma journée à glander en ville. Parce qu’il y a des jours où ça me tente pas des masses d’aller à l’école et ça m’ennuie de dire la vérité à mes parents qui voudraient que je sois un grand homme un de ces quatre. Je me définis pas vraiment comme un menteur, mais disons que je joue de la situation pour ne pas décevoir certains ou tout simplement pour m’amuser. C’est quelque chose de naturel, tellement naturel que ça s’explique pas. Enfin, vous voyez de quoi je parle.

 

Le mensonge dans le quartier est très courant. Tout le monde sait que tout le monde ment et continue à le faire, c’est notre vérité. C’est à vomir les tripes quoi. Donc, j’ai pas dit nikomm’ha parce que je ne peux pas le dire devant Am El Arbi, je le respecte trop pour dire une telle injure devant lui. En fait, dans des situations où vous êtes fâché, c’est le genre de mot que vous pouvez dire, et qui exprime votre frustration, mais surtout qui signale à votre ennemi que vous le menacez ou à votre ami que vous êtes un homme de parole, c’est un peu comme « je jure sur la tête de ma mère », mais dit d’une façon un peu vulgaire quoi. C’est aussi le genre de mot que tout le monde pense bas et seuls les voyous disent haut et fort. Moi, je vais pas vous dire que je suis un voyou, c’est pour ça que je l’ai pas dit devant Am El Arbi, par contre avec mes amis, je l’aurais dit très fort. 

 

(À suivre)

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6 commentaires sur “Boutabba … (extrait)

  1. Merci!
    Je voudrais dire que je ne suis pas du tout un Boutabba, c’est le fruit de mon imagination 😉 Je ne savais pas que ça existait comme nom de famille 😉

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